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06/10/2013

Philippe Jaccottet, Taches de soleil ou d'ombre,

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1976

 

   À Paris, visite à Francis Ponge. J'arrive rue Lhomond à midi, un peu en avance. On refait la façade ; l'escalier est très délabré. Odette m'ouvre ; elle a les cheveux gris, mais son visage est toujours aussi beau, sa taille aussi fine et droite. Francis sort de sa chambre en maillot de corps ; il me semble un peu plus petit qu'autrefois, un peu plus frêle surtout (il a soixante-dix-sept ans) ; mais le visage peu changé. Il passe ses bretelles et une chemise devant moi, tandis qu'Odette tient absolument à faire son lit contre son gré.

   Comme tant d'autres fois, il y a plus de vingt ans, je passe l'après-midi dans le bureau. Après qu'il m'a parlé de ma mère et de la mort de son père, assez vite, tous ses propos vont revenir à lui, en particulier à  ses difficultés avec Gallimard. La tête bientôt me fait mal et je ne suis pas sans effort ce long monologue, que conclura la lecture de quelques pages sur le vent, qui ne me convainquent pas complètement. C'est un homme blessé. (Sa riposte aux attaques de ses anciens admirateurs, Pleynet hier, Prigent aujourd'hui, a retrouvé la violence des batailles entre surréalistes.) Il réaffirme son gaullisme, se proclame même plus ultra que Michel Debré. Ce qui se passe dans le monde l'écœure : il m'avoue même qu'il sera heureux de quitter un monde aussi atroce. Quand il évoque de récents rapts d'enfants, je le surprends au bord des larmes.

   Il se montre très dur à l'égard de Perse, à peine moins pour Char. Grand éloge, en revanche, de Maldiney (qui, évidemment, ne saurait lui faire de l'ombre).

                                                                                 (11 février)

 

 

Philippe Jaccottet, Taches de soleil ou d'ombre, Le Bruit du temps, 2013, p. 110-111.

17/11/2012

Francis Ponge, Prose ou poésie

Francis Ponge, Prose ou poésie

Prose ou poésie

 

Bien sûr j'ai lu les Poèmes en prose de Baudelaire et les proses de Mallarmé dans Divagations : sont-ce des poèmes en prose ? Cette antinomie entre poésie et prose est un non-sens. [...] J'aime Connaissance de l'Est de Claudel, mais non pas Les Nourritures terrestres de Gide, un livre que l'on peut appeler de prose poétique. Le fait qu'il n'y a plus de règles fixes de prosodie, proésie, signifie qu'il est impossible de classer intelligemment des proses comme poèmes et d'autres non. Une des premières anthologies de poèmes en prose d'après-guerre s'achève, je pense, sur moi. [...] L'anthologie commençait avec Parny au XVIIIe siècle. Ensuite venaient Aloysius Bertrand, Michaux, moi-même. Mais mes textes critiques, mes textes sur les peintres par exemple, sont tout aussi difficiles, souvent plus difficiles, à écrire que ceux considérés comme poétiques. Je ne fais pas de différence. Mes audaces et mes scrupules sont les mêmes, quelque genre que vous assigniez au texte. Mon premier recueil, publié en 1926, s'intitulait Douze petits écrits et s'ouvre avec trois ou quatre po... choses que l'on peut considérer comme des poèmes, si cela vous plaît.

 

Francis Ponge, "entretien avec Anthony Rudolf", 4 mai 1971, Modern poetry in Translation, n°21, juillet 1974, dans Œuvres complètes, tome II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2002, traduction de l'anglais par Bernard Beugnot, p. 1409.

28/10/2012

Francis Ponge, Dans l'atelier du « Nouveau Recueil »,

Francis Ponge, Dans l'atelier du « Nouveau Recueil »,, souvenirs d'Avignon

                   Souvenirs d'Avignon

 

Notre île cahote comme une marmite ;

Vagues et rochers font autour des bouillons gris.

 

La pluie. D'accord nous sommes à terre.

 

Éclair. L'Oiseau passe près du phare.

Nos vaisseaux brûlent.

   

                             *

 

À cloche-tinte la souris boit

La rampe de bois n'est pas sûre

Un ongle y racle de la cire

Deux chaussures ne sont pas loin

 

Toute la province d'ailleurs se révolte

Dans toutes les charrettes sur les chemins

Se tiennent de futurs guillotinés en chemise

Les bras croisés derrière le dos

 

À  demain. À demain sonnent les cloches

Grand Branle-bas. Je n'y serai plus

Je serai au contraire très loin

Toutes vos voitures de foin déchargées

 

Vieux réseau, tu passes à niveau sur les routes

Raison de plus pour l'hirondelle

Qu'on me verse le café chez le garde-barrière

Si j'y passe c'est perpendiculairement

 

                             *

[...]

Francis Ponge, Dans l'atelier du « Nouveau Recueil », dans

Œuvres complètes, II, édition publiée sous la direction de Bernard Beugnot, Bibliothèque de la Pléiade, 2002, p. 349-350.